Le non-respect des clauses de compliance dans les contrats conclus entre les industriels de la santé et leurs partenaires : un nouveau motif de résiliation du contrat pour faute grave

Retour sur l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 20 novembre 2019 qui reconnait, pour la première fois clairement à notre connaissance, que la violation des obligations dites de « compliance » (dispositifs anti-cadeaux, transparence, anti-corruption) insérées dans un contrat commercial constitue une faute grave justifiant la rupture dudit contrat sans préavis. Par là, la Cour de cassation consacre le caractère essentiel des règles de compliance et leur donne toute leur vigueur dans le cadre de relations contractuelles.

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En l’espèce, un contrat à durée indéterminée avait été conclu le 14 mars 2007 (le « Contrat ») entre la société Biomet (la « Société ») et la société Equilibre Implant Chirurgical (l’« Agent Commercial »). Aux termes du Contrat, l’Agent Commercial avait pour mission de rechercher des clients pour le compte de la Société, moyennant le versement de commissions sur la réalisation des ventes intervenues.

Au titre de ses obligations, l’Agent Commercial avait pris l’engagement de se conformer aux dispositions de la loi dite anti-cadeaux, aux règles de transparence et aux règles en matière de lutte anti-corruption.

Plus précisément, il s’était engagé, d’une part, à exercer ses activités dans le respect des règles applicables, et en particulier avait reconnu être informé des dispositions de l’ancien article L. 4113-6 du Code de la santé publique (désormais articles L. 1453-3 et suivants du Code de la santé publique) et avait reconnu devoir les respecter ; il s’était également engagé à souscrire à la politique globale de lutte contre la corruption du groupe Biomet prévoyant que tous les collaborateurs de Biomet sont tenus de signer régulièrement une certification de leur adhésion à la politique du groupe.

D’autre part, l’Agent Commercial s’était engagé à se conformer aux dispositions de l’article L. 1453-1 du Code de la santé publique relatif à l’obligation de déclaration des liens d’intérêts avec les professionnels de santé.

Par une lettre en date du 8 juillet 2013, la Société a notifié à l’Agent Commercial la résiliation sans préavis du Contrat pour faute, en raison du manquement grave à ses obligations contractuelles de compliance. D’une part, l’Agent Commercial n’avait pas renouvelé son adhésion et sa certification à la politique de lutte contre la corruption du groupe auquel appartient la Société alors même qu’il avait accepté de s’y soumettre, et ce même après plusieurs courriels de la Société lui rappelant ses obligations. D’autre part, l’Agent Commercial n’avait pas procédé à la déclaration de ses liens d’intérêts avec les professionnels de santé comme cela lui incombait aux termes de la réglementation en vigueur.

L’Agent Commercial, contestant les conditions de résiliation du Contrat (résiliation sans préavis) par la Société, a assigné la Société en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie.

La Cour d’appel de Paris (CA Paris, 30 novembre 2017), soulignant le caractère essentiel de la souscription, par l’Agent Commercial, à la politique globale de lutte contre la corruption du groupe Biomet, a décidé que les manquements de l’Agent Commercial, professionnel du secteur médical, (i) en matière de lutte anti-corruption et (ii) en matière de déclarations des liens d’intérêt avec les professionnels de santé, étaient d’une gravité suffisante pour autoriser la résiliation du contrat sans préavis.

Par un arrêt en date du 20 novembre 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’Agent Commercial et a approuvé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, selon lequel, « compte tenu des règles fixées par le programme de « compliance » et de l’accord conclu, le manquement de l’[Agent Commercial] à ses obligations contractuelles, en ce qu’il était susceptible d’engager la propre responsabilité de la [Société], était suffisamment grave pour justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis ».

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La décision de la Cour de cassation consacre l’utilité des clauses dites « éthique », « de respect des lois » ou encore « de compliance » (relatives notamment aux dispositifs anti-cadeaux, transparence et anti-corruption) dans les contrats tels que les contrats de prestations de services, de distribution ou d’agents commerciaux. Elle rappelle par là également, indirectement, le caractère essentiel du respect de ces règles.

Il sera intéressant d’observer l’impact de cette décision sur la rédaction des contrats conclus par les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé, ou assurant des prestations de santé, et leurs co-contractants (prestataires, partenaires).

Si la Cour de cassation semble, pour la première fois, reconnaître expressément que le manquement aux obligations contractuelles de compliance constitue une faute suffisamment grave justifiant la résiliation du contrat sans préavis, il reste utile à notre sens de prévoir expressément les conséquences de tels manquements dans les contrats. En effet, conformément à cette jurisprudence, parce qu’il est plus clair de l’indiquer expressément, et parce qu’un tel manquement est susceptible d’engager la responsabilité des industriels du secteur de la santé, il est recommandé de prévoir dans les contrats que « [l’industriel] aura le droit de résilier le contrat avec effet immédiat en cas de violation par le [prestataire] du présent article sur le respect des lois et règles éthique, ou de violation d’un engagement, d’une déclaration ou d’une garantie contenu aux présentes, et ce sans préjudice de tous autres droits et recours dont il pourrait disposer ».

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