L'equity crowdfunding : quelles spécificités pour les biotech ?

L’equity crowdfunding : QUELLES SPECIFICITES POUR LES BIOTECHS

 

L’equity crowdfunding et un mode de financement qui doit être envisagé comme un moyen et non une fin.  François-Maxime Philizot et Agathe Simon, avocats associés Cabinet Mercure Avocats (Paris) reviennent sur les points fondamentaux remis en perspective à l’aune des particularité liées au secteur des biotechnologies.

Les start-ups envisagent de plus en plus fréquemment le recours au financement participatif en capital (« equity crowdfunding » – prise de participation directe dans le capital de la société). En 2014, en France, plus de 25M d’euros ont été levés via des plateformes de financement participatif, contre environ 10M d’euros en 2013. Le secteur des biotechnologies ne fait pas exception à la règle, comme l’ont montré récemment plusieurs opérations importantes.

En Grande-Bretagne, la société Cell Therapy, spécialisée dans la recherche en thérapie cellulaire, a collecté au début de l’année 2015 près de 700K livres sterling (environ 1M d’euros) via la plateforme Crowdcube. En France, Acticor Biotech vient de lever, au mois de janvier 2015, près de 600K euros via la plateforme Anaxago. Dans le medtech, EyeBrain a, quant à elle, récolté près de 1,3M d’euros, en partie en crowdfunding, via la même plateforme, au début de l’année 2015 également.

En France, l’attrait du crowdfunding a été renforcé par la clarification, en 2014, des règles applicables à ce mode de financement – Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 et décret d’application n° 2014-1053 du 16 septembre 2014, tous deux applicables depuis le 1er octobre 2014.

Aussi attractif qu’il puisse paraître ce mode de financement doit être envisagé avec prudence dans le secteur des biotechnologies. Après avoir rappelé les règles applicables à l’equity crowdfunding, nous évoquerons en quoi ce mode de financement doit être appréhendé de façon spécifique.

  1. Rappel des règles applicables à l’equity crowdfunding

La loi a clarifié la situation du crowdfunding. Pour les plateformes de financement participatif en capital tout d’abord, qui bénéficient désormais d’un statut adapté, celui de « conseiller en investissements participatifs » – « CIP » (les plateformes CIP doivent être immatriculées auprès du registre de l’ORIAS), mais également pour les opérations de financement (prêt, don ou equity). S’agissant de l’equity crowdfunding, la difficulté réside du côté des règles relatives à l’offre au public de titres financiers. En pratique, l’enjeu consiste à faire en sorte que l’investissement participatif ne tombe pas dans ce régime très contraignant qui prévoit en particulier que l’offre au public de titres financiers doit répondre à un certain nombre de conditions spécifiques, dont la mise en place d’un prospectus d’information approuvé par l’AMF.

Plusieurs dérogations permettent en effet à une société (y compris aux SAS qui, par définition, ne peuvent pas procéder à une offre au public de titres financiers) de réaliser une offre sans être soumise au régime de l’offre au public de titres financiers. Parmi ces dérogations, deux sont utilisées habituellement par les plateformes de crowdfunding :

  • la dérogation relative au financement participatif, issue de la réglementation d’octobre 2014, dont les conditions sont les suivantes (conditions cumulatives) : (i) une offre qui porte sur des titres financiers qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociations, et (ii) qui est présentée par l’intermédiaire d’un prestataire de services d’investissement ou d’un conseiller en financement participatif par l’intermédiaire d’un site Internet, et (iii) dont le montant total est inférieur à 1M d’euros sur 12 mois. Lorsqu’une SAS procède à une offre d’investissement au titre de cette dérogation, certaines dispositions du Code de commerce relatives aux sociétés anonymes concernant les droits de vote et règles de vote aux assemblées doivent être appliquées.
  • une dérogation plus classique, encore utilisée par les plateformes de crowdfunding : une offre adressée exclusivement à un cercle restreint d’investisseurs, sous réserve que ces investisseurs agissent pour compte propre – en pratique, un cercle restreint d’investisseurs est composé de 149 personnes au plus.

Même depuis l’entrée en vigueur en 2014 de la nouvelle règlementation, la dérogation relative au cercle restreint d’investisseurs continue d’être intéressante et est donc encore utilisée par les plateformes de crowdfunding. Cette dérogation permet en effet de ne pas être limité dans le montant de l’investissement (contrairement au plafond de 1M d’euros prévu par la dérogation visée spécifiquement pour le financement participatif). Dans ce cas, les plateformes s’adressent, au sein de leur communauté, à un nombre limité d’investisseurs potentiels.

Avant la mise en place d’une levée de fonds, il est donc important de connaître le cadre juridique dans lequel la plateforme et l’opération d’investissement s’inscrivent.

  1. Comment appréhender ce mode de financement dans le secteur des biotechnologies ?

L’equity crowdfunding est un mode de financement séduisant. Tout d’abord parce qu’il constitue une nouvelle source de financement permettant aux entreprises innovantes de pallier les difficultés à trouver, en phase d’amorçage ou d’expansion, un partenaire financier de type fonds de capital risque. Dans le secteur des biotechnologies, en particulier, où les cycles de développement sont bien plus longs et plus coûteux que dans d’autres secteurs, les start-ups luttent en permanence pour trouver des financements.

Dans certains cas, les entreprises se tournent par nécessité vers le crowdfunding, seul ou de façon concomitante avec un financement plus classique de type capital risque – cette dernière solution étant de plus en plus fréquemment observée. Mais certaines sociétés font, semble-t-il, délibérément le choix du crowdfunding : Cell Therapy, par exemple, a indiqué, bien que disposant d’offres de fonds de capital risque, avoir choisi d’expérimenter ce nouveau modèle afin de permettre au public de prendre une part active dans son nouveau projet.

En pratique, dans le secteur des biotechnologies comme ailleurs, d’autres raisons rendent de prime abord le crowdfunding séduisant. Réalisé en partenariat avec des plateformes de financement participatif, ce mode de financement peut, dans certains cas, se révéler relativement rapide et efficace, du fait notamment de l’exposition importante qu’il offre. Par ailleurs, les sociétés voient favorablement la perspective d’un actionnariat investisseur plus dispersé (même si, en pratique, il est en général réuni au sein d’une holding) et donc moins coordonné et moins présent dans la gestion de la société – par opposition à l’entrée dans le capital de la société d’un unique fonds de capital risque qui, de fait, prendra une part plus grande dans la gouvernance de la société. De même, la négociation des conditions d’entrée des investisseurs en crowdfunding (valorisation, termes de l’investissement, clauses du pacte d’actionnaires) peut sembler moins difficile qu’avec un fonds de capital risque. 

Il convient toutefois d’être prudent et de bien anticiper, dans le cadre de l’investissement, l’option du crowdfunding. Compte tenu des cycles de développement propres au secteur des biotechnologies, i.e., phase d’innovation poussée et longue avant la mise sur le marché (time to market) qui nécessite un financement important, une vigilance particulière doit être portée au modèle de financement adopté. Si, dans d’autres secteurs d’activité, une levée de fonds peut permettre de commercialiser rapidement un produit ou un service, dans le secteur des biotechnologies, ce financement ne constituera qu’une étape parmi d’autres levées de fonds avant la mise sur le marché du produit.

En ce sens, la levée de fonds en crowdfunding doit s’inscrire dans une vision à long terme et tenir compte des futurs nouveaux investisseurs ou partenaires industriels de la société, auxquels il faudra expliquer la stratégie d’investissement. Pour certains investisseurs de capital risque, il est difficilement envisageable de prendre une participation dans une société qui a eu recours à du crowdfunding. De façon plus générale, le fractionnement du capital suite à une levée de fonds en crowdfunding peut constituer un handicap. La stratégie d’investissement doit donc être bien réfléchie en amont – quel mode de financement, quel montant d’investissement, par rapport au niveau de valorisation retenu, pour atteindre le prochain jalon, quels futurs investisseurs ou partenaires industriels, quelles modalités de sortie – peut-être plus dans le secteur des biotechnologies que dans d’autres secteurs d’activité.

François-Maxime Philizot et Agathe Simon

Avocats associés Cabinet Mercure Avocats (Paris)

 

 

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Le crowdfunding entre opportunité et opportunisme

Comment évolue le crowfunding en Europe ? Peut-on envisager sur différents pays des doubles ou triples crowdfunding à l’instar des multicotations boursières ? Comment sortir du crowfunding ?  François-Maxime Philizot et Agathe Simon, avocats associés Cabinet Mercure Avocats (Paris) précisent pour Biotech finances quelques axes de réflexion.

Biotech Finances : En matière de crowdfunding, que se passe-t-il dans les autres grands pays européens des biotech ?

François-Maxime Philizot : Dans les autres grands pays européens leaders dans les biotechnologies, l’equity crowdfunding connaît une importante progression également. Le Royaume-Uni est incontestablement en tête du classement. L’étude réalisée par l’Université de Cambridge et EY sur la finance alternative en Europe (« The European Alternative Finance Benchmarking Report » - publiée en février 2015) indique que le marché de l’equity crowdfunding au Royaume-Uni a représenté à lui seul 111M d’euros en 2014, contre 82,5M d’euros pour le reste de l’Europe (et environ 25M d’euros pour la France, comme indiqué plus haut). En Allemagne, le marché représente près de 30M d’euros. Dans les pays nordiques, ce chiffre n’est que d’environ 3,7M d’euros. En Suisse, le marché est encore peu développé.

Agathe Simon :  L’une des raisons permettant d’expliquer la différence de progression des marchés entre les différents pays tient notamment au niveau de réglementation. Malgré l’harmonisation, au niveau européen, des règles relatives à l’offre au public de titres financiers et des dérogations mises en place (Directive 2010/73/UE), la réglementation applicable au financement participatif dans les différents pays reste très hétérogène. Dans certains cas, l’absence de clarification quant aux règles applicables tend à ralentir le développement de ce mode de financement. A titre d’illustration, la société suisse Seedstars a indiqué au début du mois de février 2015 avoir choisi Londres plutôt que Genève pour le lancement de son fonds de financement participatif innovant, invoquant le manque de régulation en Suisse.

BF : Peut-on lancer une opération de crowdfunding simultanément sur plusieurs plateformes et dans plusieurs pays ? Si oui quels  sont les intérêts et les inconvénients d’une telle démarche  ?

François-Maxime Philizot : En théorie, il est possible de lancer une opération de crowdfunding sur plusieurs plateformes et dans plusieurs pays simultanément. L’intérêt est bien entendu de bénéficier d’une exposition plus grande auprès d’investisseurs potentiels et donc de multiplier les chances d’obtenir un financement. En pratique, toutefois, pour que cela soit efficace, il conviendrait que les plateformes dans les différents pays se coordonnent entre elles. Si ce n’était pas le cas, la mise en place de plusieurs opérations simultanées risquerait de soulever des difficultés opérationnelles lors de la réalisation de l’investissement (e.g., négociation en parallèle avec des groupes d’investisseurs différents, risque d’incohérence en termes de valorisation).

Au contraire, certaines plateformes, en particulier au Royaume-Uni, interviennent directement dans d’autres pays européens et permettent à des investisseurs étrangers d’accéder à des opérations dans leur pays. Mais selon l’étude réalisée par l’Université de Cambridge et EY sur la finance alternative en Europe, la proportion d’opérations transfrontalières en Europe reste encore très limitée à ce jour, ce qui peut s’expliquer, en partie, par le développement encore récent de ce marché et par le manque d’homogénéité des réglementations applicables dans les différents pays.

BF : Sortir de l’equity crowdfunding, quelles pistes et quelles précautions ?

Agathe Simon :  La sortie d’un investissement en crowdfunding peut prendre différentes formes, par exemple, la cession de 100% des titres de la société, une introduction en bourse ou un rachat de titres par un nouvel investisseur (voir notamment l’exemple Antabio). Mais ces solutions de sortie restent incertaines (en phase d’amorçage ou d’expansion, le risque d’échec est important), et le chemin pour y arriver peut être très long, notamment dans le secteur des biotechnologies, ce dont n’ont pas forcément conscience les investisseurs.

Ces derniers devraient par ailleurs être particulièrement vigilants : même en cas de sortie positive pour l’ensemble des actionnaires (e.g., cession de 100% des titres de la société), le gain réalisé par les investisseurs en crowdfunding peut se révéler décevant, selon le nombre et la qualité des nouveaux investisseurs qui ont pu entrer dans le capital par la suite – risque de dilution au gré des investissement successifs (les clauses anti-dilution négociées dans certains cas par les plateformes ne sont, en pratique, pas réellement adaptées aux investisseurs en crowdfunding), conditions de sortie moins favorables (absence de droit de liquidation préférentielle ou de répartition préférentielle du prix de cession) que celles négociées par les investisseurs de type fonds de capital risque. De fait, la question de la sortie de l’investissement est cruciale mais n’est pas toujours appréhendée à sa juste valeur par les plateformes et par les investisseurs en equity crowdfunding.

Propos recueillis par Jacques-Bernard TASTE

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