Retour sur deux arrêts récents de la CJUE portant sur la publicité pour les médicaments pour le premier et sur la distinction médicaments / dispositifs médicaux pour le second
1. CJUE 27 février 2025 ; aff. C-517/23 :
Par un arrêt rendu le 27 février 2025, la CJUE s’est prononcée sur la légalité de certaines pratiques publicitaires, de DocMorris, une pharmacie en ligne, s’agissant de médicaments soumis à prescription.
Plusieurs questions ont été posées à la CJUE sur le fait de savoir notamment si les actions publicitaires pour des médicaments soumis à prescription médicale provenant de l’ensemble de la gamme de produits d’une pharmacie relèvent de la notion de « publicité pour des médicaments » au sens de la directive 2001/83/CE (articles 86 §1 et 87 §3) et si les réglementations nationales étaient en capacité d’interdire certaines formes de publicité, telles que celles mises en œuvre par DocMorris.
Pour répondre à cette première question, la Cour, reprenant les raisonnements qu’elle a déjà pu dégager dans de précédentes affaires (CJUE, 22 décembre 2022, aff. C-530/20), rappelle que l’appréciation du caractère publicitaire d’un message se fait au regard de sa finalité. En effet, elle considère qu’il convient d’établir si l’action publicitaire vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments ou si cette dernière ne vise qu’à influencer le choix de la pharmacie auprès de laquelle le patient/client achètera les médicaments en question. Dans le cas présent, la Cour estime qu’il est nécessaire de distinguer selon que le message publicitaire est limité aux médicaments soumis à prescription médicale ou si ce dernier porte également de manière plus large, sur des médicaments non soumis à prescription.
S’agissant des actions publicitaires (réduction de prix) visent l’achat de médicament indéterminés soumis à prescription, les juges de la Cour du Luxembourg estiment qu’elles sont relatives au choix de la pharmacie au sein de laquelle le patient achètera son médicament, dès lors, elles ne relèvent pas de la notion de publicité pour des médicaments au sens de la directive précitée. En revanche, il en va différemment pour les actions publicitaires revêtant la forme de bons pour l’achat ultérieur de médicament non soumis à prescription, puisque selon la Cour, ce type d’actions encourage l’achat de ces médicaments. Dès lors, elles relèvent bien de la notion de publicité pour des médicaments.
Pour ce qui est de la deuxième question, la Cour, après avoir examiné dans un premier temps la conformité de l’interdiction allemande portant sur les actions publicitaires ne relevant pas de « la publicité pour médicaments » (gratification monétaire dont le montant exact n’est pas connu en échange de l’envoi d’une prescription médicale et d’une participation à un contrôle des médicaments) à l’article 34 du TFUE et la directive 2000/31, a jugé que cette dernière constituait bien une mesure d’effet équivalent. Toutefois, bien que cette interdiction affecte plus sensiblement les officines établies dans d’autres États membres, la Cour considère cette restriction proportionnée, les dispositions précitées ne s’opposent pas selon elles à ce qu’une règlementation nationale les interdise dès lors qu’elle poursuit un objectif légitime de protection des consommateurs.
Dans un second temps, s’agissant de l’interdiction des actions publicitaires relevant de la publicité pour des médicaments, la Cour a examiné leur conformité au regard de l’article 87§3 de la directive 2001 /83 qui rappelle que ce type de publicité doit favoriser l’usage rationnel du médicament, être objective et ne pas être trompeuse. Selon elle, les actions publicitaires litigieuses assimilent les médicaments non soumis à prescription à d’autres produits de consommation offerts par une pharmacie puisque le choix est laissé au patient bénéficiaire de ces bons, de les utiliser indifféremment sur des médicaments non soumis à prescription et des produits de consommation offerts par une pharmacie. Or c’est cette assimilation qui est mise en cause par la Cour, estimant qu’elle est susceptible de conduire à une « utilisation irrationnelle et excessive de médicaments non soumis à prescription ». Dès lors, l’interdiction mise en place par la législation allemande répond à l’objectif de sauvegarde de la santé publique et est conforme à l’article précité.
2. CJUE 13 mars 2025 ; aff. C583 /23 :
La CJUE vient, par cet arrêt, apporter quelques précisions relatives à la ligne de démarcation entre médicaments et dispositifs médicaux. Dans cette affaire, une société allemande commercialise en tant que dispositifs médicaux deux produits pour le traitement d’infections des voies urinaires, que les autorités allemandes avaient requalifiés en médicaments. Cette divergence de classification a conduit à une saisine de la CJUE par la Cour fédérale de justice allemande. La question qui se posait ici était celle de la réversibilité de l’action de la substance active (D-mannose) sur les bactéries, notamment sur le point de savoir si une substance qui par une liaison réversible à des bactéries empêche celle-ci de se fixer aux cellules humaine exerce une action pharmacologique.
La Cour répond à cette question en considérant qu’une « substance qui, par une liaison réversible à des bactéries empêche celles-ci de se fixer à des cellules humaines, doit être considérée comme exerçant une action pharmacologique » du seul fait de ce mode d’action et donc qu’il s’agit in fine, d’un médicament par fonction et non d’un DM.
Pour ce faire, elle rappelle que la classification d’un produit en tant que médicament repose principalement sur son mode d’action principal. En effet, elle estime qu’une substance ne peut être qualifiée de DM si le mode d’action du produit en question est obtenu par une action pharmacologique (la substance peut modifier des fonctions physiologiques), puisqu’il s’agit là d’un des moyens par lesquels l’effet thérapeutique ou diagnostique principal est reconnu à l’égard d’un produit qualifié de médicament.
Pour autant, la notion d’action pharmacologique n’est pas définie par les textes européens (directive 2001/83/CE, règlement (UE) 2017/745, directive 93/42/CEE). La Cour s’est donc appuyée pour interpréter les notions mobilisées (action pharmacologique) sur le document d’orientation CGDM relatif aux produits frontières. Au regard de ces documents, la Cour a considéré, alors même que l’action de la substance (D-mannose) présente un caractère réversible, que cette dernière engendre des effets sur le corps humain par des moyens pharmacologique et ne peut donc, à ce titre, être qualifiée de DM.
Il convient par ailleurs de noter que la Cour fonde également son analyse sur un autre principe, celui de la règle d’application prioritaire de la définition du médicament face à un DM.
Cela implique pour les fabricants de rester prudents et, éventuellement, de réévaluer le statut de leurs produits s'il existe un doute sur leur mode d’action.