INVESTISSEMENTS DANS LE SECTEUR MEDICAL : VERS UNE REGLEMENTATION RENFORCEE A VENIR ? - LE POINT SUR LES DERNIERES ACTUALITES

L’actualité récente dans le secteur médical – imagerie notamment mais également, plus largement, cabinets médicaux organisés sous forme de sociétés d’exercice libéral – autour de la question de l’indépendance des professionnels de santé vis-à-vis de leurs investisseurs montre qu’une évolution dans le sens d’une clarification de certains aspects de la réglementation pourrait intervenir dans ce domaine. Cette clarification est ouvertement préconisée par la commission des affaires sociales du Sénat dans son récent rapport du 25 septembre 2024 (« Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la financiarisation de l’offre de soins »), assorti de 18 propositions concrètes.

Ce rapport s’insère dans un contexte déjà mouvant : rebondissements judiciaires depuis plus d’un an concernant la radiation de certaines sociétés médicales d’exercice et, si l’on remonte un peu plus loin, radiation de sociétés vétérinaires par l’Ordre des vétérinaires confirmées par le Conseil d’État et suivies de la mise en place d’une doctrine officielle en la matière. L’ensemble de ces éléments portent en eux le même enjeu, à savoir la gouvernance des sociétés d’exercice et l’indépendance des professionnels de santé vis-à-vis des investisseurs.

L’élément nouveau et commun à cette actualité semble être le recours à la notion de « contrôle effectif », qui tend à être préférée à celle d’indépendance des professionnels de santé consacrée par les codes de déontologie applicables.

I. Rappel des faits récents

a) Une forme de régularisation dans le secteur vétérinaire

Dans le secteur vétérinaire, le Conseil d’État avait confirmé, par quatre décisions rendues le 10 juillet 2023, la radiation de sociétés vétérinaires par l’Ordre des vétérinaires jugeant que ce dernier était fondé à refuser d’inscrire au tableau une société lorsque ses statuts ou, le cas échéant, des accords passés entre les associés ou des engagements contractés par la société avec des tiers, sont susceptibles de priver les vétérinaires d’un contrôle effectif sur la société et, en conséquence, de les conduire à méconnaître les règles de la profession, notamment en portant atteinte à leur indépendance professionnelle.

Ces décisions pourraient s’avérer transposables aux professions de santé, celles-ci étant organisées selon des principes analogues à ceux régissant la profession vétérinaire.

A la suite de ces décisions, le Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a mis en place, en octobre 2023, une procédure de conciliation entre l’Ordre des vétérinaires, les groupes de sociétés d’exercice concernés et le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, pour faciliter la mise en conformité des sociétés visées. Dans ce cadre, une doctrine d’emploi a été établie en décembre 2023, contenant un certain nombre de préconisations assez concrètes permettant cette mise en conformité (sur la gouvernance et le contrôle effectif des sociétés de vétérinaires).

b) Un secteur médical (l’imagerie notamment) dans l’expectative

Dans le sillage de l’évolution constatée dans le secteur vétérinaire – décisions du Conseil d’État et doctrine d’emploi – l’Ordre des médecins pourrait chercher à resserrer son pouvoir de contrôle et de sanction sur les structures médicales d’exercice.

Dans ce sens, plusieurs rebondissements judiciaires ont eu lieu récemment concernant la société Imapôle : décisions du Conseil départemental du Rhône de l’Ordre des médecins de radier la société le 7 novembre 2023, puis le 23 juillet 2024, puis le 18 septembre 2024. Cependant, ces décisions ont été systématiquement suspendues par le juge des référés du Conseil d’État respectivement le 4 janvier 2024, puis le 12 septembre 2024, puis le 10 octobre 2024. 

A ce jour, il manque une décision de fond permettant d’y voir plus clair sur l’appréciation par les juges du principe d’indépendance des professionnels de santé et de son corollaire, la notion de contrôle effectif.

II. Les préconisations de la commission des affaires sociales du Sénat

Cette séquence judiciaire pourrait par ailleurs être accompagnée d’une évolution législative et réglementaire. C’est en tout cas ce que préconisent les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat. Dans leur rapport, ces derniers formulent des propositions assez précises pour, selon eux, « contenir l’influence des acteurs financiers non professionnels au sein des SEL, sans modifier néanmoins l’équilibre général des règles de gouvernance ».

a) Pour une évolution des dispositions législatives et réglementaires

Les rapporteurs préconisent notamment (proposition n° 10) de « compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL, pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé ».

Les rapporteurs font également état de dérives constatées dans l’usage des actions de préférence et des droits attachés, et plaident pour qu’une réflexion portant sur un encadrement plus strict des détournements du système des actions de préférence soit conduite (proposition n° 11). Les dérives en question et les solutions envisagées ne sont cependant pas clairement exposées dans le rapport.

Il est également préconisé d’« empêcher les investissements purement spéculatifs et prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d’investissement dans le capital des SEL ».

b) Pour une consécration de la notion de « contrôle effectif » dégagée par la jurisprudence

Les rapporteurs rappellent que le principe d’indépendance des professionnels de santé est consacré par l’ensemble des codes de déontologie applicables, mais que le contenu imprécis de ce principe demeure incertain et sa protection par les Ordres, en conséquence, malaisée.

Au contraire, la notion de « contrôle effectif » semble être une notion plus facile à appréhender, parce qu’elle permet de procéder par faisceau d’indices pour déterminer si les associés exerçants ont ou non le contrôle de leur société. La proposition n° 15 formulée dans le rapport préconise donc de « renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel en consacrant dans la loi la notion de « contrôle effectif » sur les sociétés des professionnels y exerçant ».

c) Pour l’élaboration d’une doctrine d’emploi, à l’image de ce qui a été fait dans le secteur vétérinaire

Les rapporteurs considèrent que l’établissement d’une doctrine d’emploi, à l’image de celle qui a été produite pour le secteur vétérinaire, apparaît souhaitable dans les secteurs de l’offre de soins concernés par des enjeux de financiarisation. Selon l’une des personnes auditionnées par les rapporteurs, l’établissement d’une doctrine fournirait aux acteurs des lignes directrices précieuses pour réguler les relations entre professionnels de santé et investisseurs, favorisant ainsi une meilleure gouvernance et une plus grande intégrité dans le secteur de la santé humaine.

Ainsi, la proposition n° 16 du rapport préconise d’« établir, avec les ordres professionnels, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé, une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement des SEL pour s’assurer que les professionnels exerçants disposent du contrôle effectif des sociétés d’exercice ».

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Mercure Avocats suit de près ces sujets, tant sur le volet jurisprudentiel (prochaines échéances judiciaires – décision au fond en particulier – concernant la société Imapôle) que législatif (quelle sera la suite donnée au rapport de la commission des affaires sociales du Sénat) et ne manquera pas de vous tenir informé(e)s.

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